La
Création de la LEGION D’HONNEUR
Après
les
journées des 18 et 19 Brumaire qui mettent fin au
régime déconsidéré du
Directoire, le "Consulat
provisoire" proclame aussitôt "inviolablement la
souveraineté du
peuple, la République une
et
indivisible, le système représentatif, la
division des pouvoirs, la liberté,
l'égalité, la sûreté et la
propriété", afin de "procurer le bonheur aux
Français".
La
constitution de l'an VIII, rédigée promptement,
nomme le général Bonaparte
premier Consul, pour
dix ans ; ce dernier inaugure sa fonction en déclarant
solennellement :
«Citoyens, la Révolution est fixée aux
principes qui l'ont commencée ; elle est
finie. »;
A
ses
proches, il précise sa pensée :
«
Nous
avons fini le roman de la Révolution ; il faut en commencer
l'histoire, et voir
ce qu'il y a de réel
et de possible dans l'application des principes, et non ce qu'il y a de
spéculatif et d'hypothétique.
Suivre aujourd'hui une autre marche, ce serait philosopher, et non
gouverner. »
Son
programme, ambitieux, était ainsi tracé : il
voulait créer un nouvel ordre
social, réconciliant et rassemblant les Français
autour d'une application
volontariste, et pragmatique, des deux principes républicains
fondamentaux, la liberté et l'égalité,
(la
"fraternité" ne sera citée qu'à partir
de 1848), qui affirmaient la
rupture totale et définitive avec la conception ancienne,
d'origine
moyenâgeuse, d'une société
bâtie autour de trois classes (ceux qui combattent,
ceux qui prient, et ceux qui travaillent).
Pour
cela, il lui fallait au préalable apaiser les esprits
divisés, assurer, à
l'intérieur, la sécurité des personnes
et des biens, et imposer la paix aux puissances
étrangères coalisées contre la
République. Il lui
fallait ensuite forger un gouvernement fort, disposant de la
durée.
La
première étape est réalisée
en suivant trois lignes d'actions résolues, menée
au pas de charge : elle est accomplie en moins de deux ans :
Le
premier Consul abolit d'entrée la "loi des otages"
votée par le
Directoire ; il pacifie la Vendée, en accordant
le pardon aux insurgés, et surtout en
satisfaisant à l'essentiel de leurs attentes. Le Concordat
achève d'apaiser les cœurs, en conciliant
laïcité et religion : l'accord, signé le
16 juillet 1801,
est ratifié en septembre ; mais le Corps
Législatif, d'abord réticent, ne votera la loi
que le 8 avril 1802
; dix jours plus tard, la fête de Pâques peut
à
nouveau être célébrée
à Notre-Dame, par le nouvel archevêque, Mgr. du
Belloy.
Dès
le
mois de février 1800, une commission spéciale
reçoit pour instruction de rayer
progressivement
les émigrés des
listes de proscription : la plupart d'entre eux (145 000), seront non
seulement
revenus
en France vers la fin
de l'année 1802, mais encore ils se seront souvent
ralliés, ou pour le moins
se tiendront désormais tranquilles.
A
l'extérieur, le premier Consul reprend brièvement
l'uniforme du général
Bonaparte, pour franchir les
Alpes en plein hiver, et conclure la campagne en allant battre les
Autrichiens
à Marengo (15/6/1800).
L'armée du Rhin, commandée par
Moreau, remporte de son côté une victoire
décisive à Hohenlinden (3/12/1800). Par
le traité de Lunéville (9/2/1801), "Sa
Majesté l'Empereur d'Autriche, roi de
Hongrie, stipulant tant en son nom qu'en celui de l'Empire Germanique,
reconnaît à la République
Française la
rive gauche du Rhin". (Ce qu'il avait refusé au Directoire
en 1799, au sanglant
congrès de Rastalt).
Reste
l'Angleterre, lasse de la guerre, et en conflit avec la Russie : les
pourparlers de paix s'engagent dès
le
mois de mars 1801, pour aboutir en octobre aux préliminaires
de Londres, puis à
la signature de la paix d'Amiens, le 25 mars 1802. Entre temps, la
Russie,
isolée, a signé la paix avec la France (10
octobre 1801).
En
ce printemps
de l'an 1802, le premier Consul est ainsi à
l'apogée de sa gloire, sa
popularité est immense : Réconciliateur
au dedans,
Pacificateur au dehors, il peut se consacrer à la
réalisation de son rêve :
créer cette
Société nouvelle, fondée sur
l'honneur et le mérite, qui servira de modèle
à toute l'Europe...
Il
lui
faut
maintenant la durée ; il ne doute pas que le
Sénat, saisi par une proposition
de Cambacérès,
lui accordera le
Consulat à vie. Mais le Sénat refuse, et se
contente de voter une prorogation
de dix ans de son mandat... Alors, il
décide de passer outre aux résistances des
assemblées, et,
par un simple arrêté consulaire en date
du 10 mai 1802 (qui reçoit l'aval du très docile
Conseil d'État),
il en appelle au peuple en lui
soumettant cette question
«
Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie ?
»
Sans
attendre le résultat du plébiscite, il s'attelle
à un chantier qu'il estime
essentiel : la création de la
Légion d'honneur, dont les titulaires, nouveaux
"chevaliers",
constitueront le soutien indéfectible, l'ossature
même du nouvel ordre social. La loi n'est
votée, le 19 mai, que par 166 voix contre 110 ; le Tribunat
proteste, les vieux
révolutionnaires s'insurgent, les Conseillers
d'État eux-mêmes s'inquiètent :
tous dénoncent l'émergence d'une nouvelle
noblesse, une résurrection des
privilèges... "Une
chevalerie de
la Révolution", ironisent de leur côté
les royalistes. Ils n'ont pas
compris que
le
nouvel
Ordre est fondé sur la reconnaissance des talents,
quels qu'ils soient, civils ou militaires, mis au
service de l'État, sur le mérite, et non la
naissance,
rompant ainsi
avec l'esprit des
anciens ordres chevaleresques, à l'exception notable
toutefois de l'Ordre de Saint-Louis, créé par
Louis XIV en 1693
pour récompenser
les mérites militaires, que l'on soit noble ou
roturier, pourvu qu'on soit bon catholique.
Bonaparte
admirait profondément l'ordre de Saint-Louis : il estimait
que cet Ordre militaire avait sauvé la France,
lorsque son sol
fut envahi par les
armées de l'Europe coalisée, dans les dernières
années du règne du Roi Soleil. La symbolique de
la Légion
d'honneur, étoile et
ruban rouge, s'inspire ainsi directement
de celle de l'ordre de Saint-Louis.
Mais
l'idée géniale de Bonaparte, c'est d'ouvrir,
dès l'origine, l'accès
de la nouvelle phalange aux mérites civils autant
qu'aux mérites
militaires : c'est
l'ensemble des talents de la nation qu'il lui
faut mobiliser pour forger cette élite qui fera
fonctionner les institutions
de la Société nouvelle qu'il va créer
(les lycées, le corps
préfectoral, le Code civil, la Banque de France...).
Et le premier
Grand Chancelier fut
ainsi le savant Lacépède.
Selon
le mot de Jean-Denis Bredin, "il invente, pour des siècles,
l'un des
moyens les plus subtils, et les
plus efficaces, d'exercice du pouvoir, que tous les régimes
se transmettront en
France, qu'ils imiteront
à l'étranger."
(In "Sieyès")
Exceptionnelle
réussite en effet que cet Ordre prestigieux,
revendiqué avec fierté par son
fondateur comme
l'une de ses plus
importantes novations, tout au long de sa fulgurante
carrière : des premières
remises de croix aux Invalides, le 15 juillet 1804,
puis au camp de Boulogne, jusqu'au dernier exil
à Sainte-Hélène, Napoléon
n'a jamais cessé d'exalter
la Croix, devenue depuis le symbole, pour tous
les Français, de l'honneur et de la Patrie.
Général
(cr) Jacques MARC président de la
section du Rhône